Avec l’électrification de l’île de La Réunion au cours du XXème siècle, l’éclairage artificiel est devenu petit à petit un élément associé à la nuit.
Aujourd’hui, nous avons l’habitude de l’utiliser pour nous déplacer la nuit, faire du sport la nuit, nous divertir la nuit etc. Ainsi, lampadaires, enseignes, spots… font partie de nos décors nocturnes.
Pourtant, l’utilisation de l’éclairage artificiel n’est pas sans effet sur la qualité de nos environnements nocturnes c’est-à-dire : sur la qualité de vie des êtres vivants (humains compris), sur notre capacité à observer le ciel étoilé et sur la préservation de nos pratiques traditionnelles nocturnes.
Un environnement nocturne de qualité ce sont des paysages visuels et sonores baignés dans l’obscurité, à peine éclairés par les étoiles que l’on peut observer sans difficulté ; c’est une obscurité ressourçante pour les êtres vivants que nous sommes et qui nous entourent ; c’est un moment de vie pour la faune qui se déplace, s’alimente, se reproduit et que l’on peut entendre.
Ce sont aussi des paysages nocturnes que l’on peut distinguer avec leurs jeux d’ombres.
Sur notre île, cette qualité n’est aujourd’hui possible qu’à certains endroits de l’île, comme au Piton de la Fournaise. Ailleurs, la qualité de nos environnements nocturnes sera modulée en partie par l’éclairage artificiel : sa présence (forte, moyenne, faible), le type d’éclairage installé (hauteur de mât, type d’ampoule) et la manière dont il est utilisé (allumage toute la nuit, à certaines heures, abaissement, extinction) ont un effet direct sur la qualité des environnements nocturnes.
Comment expliquer que l’éclairage artificiel affecte tous les êtres vivants ?
La vie sur terre s’est développée avec les variations de la lumière du soleil : l’alternance jour et nuit, le cycle des saisons et celui de la Lune. Les cycles biologiques de tous les êtres vivants (animaux, végétaux, humains) se sont alors construits autour de ces variations. C’est ce qui explique pourquoi la majorité des espèces sont sensibles à la lumière, qu’elles soient diurnes ou nocturnes, aquatiques ou terrestres, vertébrés ou invertébrés.
L’apparition de l’éclairage artificiel, qui quelque part prolonge « le jour » modifie donc l’équilibre propre à chaque espèce.
L’éclairage artificiel a des effets sur les déplacements, l’alimentation et la reproduction de la faune nocturne. De plus, leur sensibilité à la lumière est variable (espèces lucifuges ou luciphiles) et leurs réactions sont diverses en fonction des longueurs d’onde de la lumière émise (désorientation, perturbation de leur horloge circadienne etc.).
L’éclairage est une des causes de la disparition des espèces et de la perte en diversité de notre nature exceptionnelle.
Ainsi, la lumière artificielle émise par les éclairages publics, nos ampoules domestiques ou nos écrans, perturbe nos fonctions biologiques.
Pour les êtres humains, la lumière artificielle affecte aussi nos rythmes biologiques (Anses, 2019). Normalement, l’alternance naturelle jour/nuit orchestre le cycle circadien qui est essentiel au bon fonctionnement de notre organisme : il régule les horloges biologiques internes.
Avec la présence d’une lumière artificielle nocturne, le cerveau interprète le signal lumineux comme « il fait jour », le cycle circadien se trouve dérégulé, l’horloge biologique du sommeil est alors perturbée. En effet, il n’y a pas de production de mélatonine (hormone du sommeil) : l’endormissement se trouve retardé.
Seule 20% de l’humanité peut profiter d’un ciel étoilé sans être perturbée par l’éclairage artificiel. À La Réunion, la Voie lactée n’est visible à l’œil nu que sur la moitié de la surface de l’île.
Plus nos environnements nocturnes seront affectés par un éclairage non-réfléchi, moins nous serons capables d’observer à l’œil nu Vénus et Jupiter ou encore les constellations visibles uniquement dans l’hémisphère sud (Centaure, la Grue, la Croix du Sud etc).
« Dan’ tan lontan », autour d’une lampe à pétrole ou d’un feu, les veillées étaient l’occasion pour le patriarche de raconter des histoires qui font peur aux enfants qui voulaient s’aventurer dehors dans la nuit !
Gran Mer Kal, Bebet-tout, esprits et autres personnages mystérieux de la nuit ont forgé notre rapport à la nuit.
Cette pratique du « racontaz zistwar » est encore transmise par des associations de La Réunion mais ne se pratique malheureusement plus dans les foyers, où règnent les écrans.
De même, la maloya et le moringue étaient pratiqués la nuit par nos ancêtres : des associations perpétuent la tradition.
Les enjeux liés à l'environnement nocturne sont la 2e cause de mortalité chez les insectes, après les pesticides. La pollinisation (étape indispensable à la formation des fruits) est assurée à 90% par des insectes, eux-mêmes en grande partie nocturne.
Améliorer nos environnements nocturnes, c’est améliorer nos cadres de vie ! En adaptant l’éclairage artificiel à nos besoins réels, nous limitons ses effets sur nous, sur la faune tout en maintenant nos pratiques nocturnes.
Et si nous pouvons éteindre, c’est l’occasion de renouer avec l’obscurité naturelle qui conditionne tous les êtres vivants depuis la nuit des temps : c’est le temps du repos, de l’alimentation, de la reproduction. Dans le fénoir, n’oublions pas que nous avions aussi nos traditions !
Mieux nous réfléchirons à pourquoi et comment éclairer, plus nos environnements nocturnes gagneront en qualité, avec en prime la redécouverte de nos traditions et des économies d’énergies !
À La Réunion, 90 000 points lumineux constituent le parc d’éclairage public (2020) : ils représentent 2.3% de la consommation annuelle d’électricité sur l’île (ADEME) et 40 à 50% de la facture des collectivités. Mieux éclairer, c’est donc faire des économies !
L’électricité produite à La Réunion provient de plusieurs sources (hydraulique, éolienne, photovoltaïque) mais la source majoritaire reste l’énergie fossile (charbon et pétrole). Mieux éclairer, c’est donc réduire notre consommation énergétique non-renouvelable et donc limiter notre contribution au réchauffement climatique.